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TF1 n’est plus le n°1 mondial de la « vidéosurveillance intelligente »

Visiowave s’envole vers de nouveaux cieux. La société vaudoise s’est vendue à General Electric. Elle était devenue ces deux dernières années un symbole de l’industrie suisse des services conquérante. Ses produits très innovants dans le secteur pointu de la vidéosurveillance l’ont propulsée au firmament d’un secteur en pleine expansion depuis la vague sécuritaire déclenchée par les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis.

Titrant « General Electric rachète une perle issue de l’EPFL [1] » (l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, NDLR), Le Temps, quotidien genevois, ne tarit pas d’éloges sur VisioWave. [2] Cette étoile montante au « firmament d’un secteur en pleine expansion depuis la vague sécuritaire déclenchée par les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis » ne cherchait pourtant guère à briller, préférant l’anonymat d’une domiciliation en Suisse à la visibilité de sa maison-mère, TF1 [3], qui après être entrée au capital de VisioWave en l’an 2000, en avait racheté 80% des parts un an après ladite « expansion sécuritaire déclenchée par les attentats« , en novembre 2002.

A l’origine, des chercheurs spécialisés dans la compression des images numériques, et qui voulaient s’implanter dans la télévision du même nom. Celle-ci ne s’étant guère développée, VisioWave se reconvertit dans la « vidéosurveillance embarquée » (dans les transports en commun), dont elle devint le n°1 mondial. Entraînant sa nomination [4] aux Big Brother Awards [5], dont elle emporta d’ailleurs le prix entreprise en 2004. Dans la plus grande indifférence : aucun média ou presque n’en parla, y compris lors de la remise du prix [6], le 13 avril dernier. Son concept était pourtant on ne peut plus innovant : non contente d’installer des systèmes de « vidéosurveillance intelligente » dans les métros et gares de Bordeaux, Marseille, Lille, New York, ou encore 1200 bus parisiens (à raison de 5500 caméras, couleur), VisioWave proposait également de s’en servir pour diffuser de la publicité aux usagers vidéosurveillés…

Ses revenus avaient explosé de 200% ces deux dernières années, et VisioWave hésitait entre être cotée en Bourse, ou être rachetée par un acteur encore plus puissant encore que TF1. Voilà qui est fait, General Electric [7] étant, toujours selon Le Temps, « l’une des plus grosses capitalisations de la Bourse américaine« . L’EPFL précise [8] de son côté qu’il s’agit du « plus grand conglomérat industriel du monde dont le chiffre d’affaires flirte avec les 152 milliards de dollars » et, perfidement, que « le montant de la transaction a échappé aux caméras de surveillance et reste donc un secret« .

Elle permettra cela dit de contribuer au rétablissement de la chaîne, qui n’irait pas si bien que cela. A preuve la publication de ses résultats qui, initialement prévue [9] pour le 20 juin, a opportunément été ramenée au 29 mai dernier, alors que tous les commentateurs avaient les yeux braqués sur le référendum… Titrant TF1: lanterne rouge après résultats/perspectives [10], le magazine CercleFinance.com revient sur les chiffres rendus publics (-15,9% de résultat d’exploitation, -14,1% de résultat net) :

Le groupe de Patrick Le Lay a il est vrai fait état d’une contraction à deux chiffres de ses performances opérationnelles et évoqué une atonie du marché publicitaire, nouvelles qui n’étaient pas de nature à enthousiasme les analystes.

Qu’en termes délicats cela est écrit… Occasion de rendre public -c’est même l’un des objets de ce blog/notes [11]– le petit mémo que j’avais fait parvenir l’an passé à un journal satirique paraissant le mercredi pour qui « la liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas » (il eut donc été dommage de garder ces notes pour moi), et donc d’expliquer un tant soit peu ce que commercialise au juste cette étoile qui brille au « firmament d’un secteur en pleine expansion depuis les attentats du 11 septembre  » :

Couplés à des caméras de vidéosurveillance, ils forment de véritables hydres panoptiques. VisioWave affirme ainsi pouvoir gérer les foules, comptabiliser les gens, repérer les rôdeurs et ceux qui n’iraient pas dans la bonne direction, détecter les caméras qui ne marchent pas, certaines infractions au code de la route, mais aussi la fumée, la présence prolongée d’un quidam ou d’un objet dans un lieu de passage, ou si quelque chose bouge, ou lorsqu’un corps reste trop longtemps sous l’eau, et caetera. En résumé : identifier tout comportement, évènement et individu présumé « suspect ».

Un attroupement, un ralentissement ? Suspects. Vous attendez quelqu’un sur le quai du métro et laissez passer plusieurs rames sans monter ? Suspect. Vous êtes en retard et vous vous trompez de direction, vous faites donc demi-tour, qui plus est en courant ? Vous êtes doublement suspect.

Blue Eye Video, une société grenobloise issue des travaux de recherche de l’INRIA et dont le système de « détection automatique de comportement » fait partie de l’offre VisioWave, se vante ainsi de pouvoir rechercher « tous les groupes de deux piétons au moins se rencontrant moins de 30 secondes », puis de les suivre à la trace au moyen de caméras de vidéosurveillance mobiles…

Du pain béni pour les systèmes de contrôle automatisé des infractions routières, qui viennent tout juste d’être avalisé par la CNIL. Vous arrêtez votre véhicule 50 cm au-delà de la ligne « virtuelle » d’un feu rouge, ne respectez pas précisément les distances de sécurité, ou dépassez légèrement les limitations de vitesse afin d’éviter un obstacle ? Le système de « Détection Automatique d’Accident (DAI) » de Blue Eye Vidéo « constitue les preuves matérielles de l’infraction » et couplé à un système de lecture des plaques minéralogiques, permet aux autorités de vous faire parvenir, dans la foulée, la contredense.

Mais la vidéosurveillance « intelligente » ne fait pas non plus que dans la sécurité. Elle permet également de savoir combien de gens entrent dans magasin, de détecter les pics d’affluence, les rayons et têtes de gondoles les plus fréquentées, le tout corrélé aux chiffres de vente.

Accessoirement, Blue Eye Video s’était également illustré en comptabilisant, en toute illégalité, des manifestants : alors que la CGT avançait le chiffre de 60 à 80.000 manifestants, que les RG en comptaient 14.000, Blue Eye en recensa pour sa part 21.000…

Autre motif supplémentaire de satisfaction de ceux qui font profession de nous surveiller, le système peut également alerter, en temps réel, les forces de sécurité, de dresser en quelques secondes la liste des évènements ou individus suspects, le tout pouvant servir de preuve en cas de poursuite. Mieux : la « vidéosurveillance intelligente » permet aussi de se passer de ces ribambelles de « télésurveilleurs » payés à mater, des heures durant, les écrans de contrôle, et donc de dégraisser.

Il est en effet possible de configurer le système pour que les écrans de contrôle ne s’allument qu’en cas d’alertes. Ce qui s’avère d’autant plus utile que les caméras de contrôle ont justement tendance à se démultiplier : grâce à VisioWave, finies les salles de contrôle bardées d’écrans et d’employés, ne restera plus que quelques écrans, et un ou deux « téléspectateurs ».

Comme l’explique VisioWave, « jusqu’à il y a peu, seul un oeil humain, associé au cerveau pouvait comprendre ce qui se passait à l’écran ». Alors qu’aujourd’hui, ce sont leurs algorithmes de détection automatique de comportements, et de suspects, qui font le sale boulot.

En résumé, la « vidéosurveillance intelligente » et ses modules d’analyse automatisées des images permet, non seulement de dégraisser, mais aussi de réduire le temps consacré à visionner les écrans de contrôle… tout en augmentant celui passé par les usagers à mater la pub à la télé.