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Les papiers biométriques sont falsifiables (à quand la puce dans le cou ?)

Je ne m’y attendais pas : j’ai été interviewé par ONPP, et le syndicaliste policier et l’universitaire sécuritaire à qui, a priori, j’étais censé faire la claque, sont d’accord avec moi : les papiers biométriques sont falsifiables, et n’empêcheront nullement les terroristes de terroriser. Quand bien même c’est précisément ce pour quoi ils nous sont vantés, et imposés.

Journaliste, et membre des Big Brother Awards [1], je suis régulièrement contacté par certains confrères en mal d’intervenants ès-atteintes à la vie privée (et donc aux droits de l’homme). J’ai ainsi été récemment interviewé pour un reportage d’On ne peut pas plaire à tout le monde [2], consacré au « boom des faux papiers« .

Ma mission : relativiser le discours officiel vantant les papiers (passeports, cartes d’identités) biométriques et électroniques « sécurisés » et soit-disant « infalsifiables« . Ce que je fis avec d’autant moins d’états d’âmes que je suis effectivement convaincu, comme je l’ai donc déclaré à la télé, que « les terroristes réussiront à avoir de faux passeports biométriques, les criminels en cols blancs et les mafieux, eux aussi auront les moyens d’acheter de vrais-faux passeports, les espions également, donc ce pour quoi a initialement été conçu tout cet arsenal sécuritaire, ne va pas fonctionner« .

Informations confirmées par Patrick Mauduit, conseiller technique auprès du syndicat Synergie-Officiers [3], et Christophe Naudin, du Département de recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines [4] (DRMCC). Le premier estime que « les terroristes useront et utiliseront des documents. On l’a vu, à l’époque avec Carlos, qui a utilisé des documents fournis par la République Démocratique Allemande, donc il y aura toujours de toute façon des filières d’Etat« .

Pour le second, « aucun document n’est infalsifiable, à partir du moment où l’on va avoir des documents exogènes à l’individu, on va pouvoir les falsifier, même s’ils sont biométriques. Comme l’a très bien montré votre reportage, des terroristes, des gens très bien organisés, des grands voyous, des gens très bien organisés, vont avoir les moyens d’obtenir des passeports biométriques; mais la difficulté pour eux ne sera pas dans l’obtention du passeport, mais ce sera le fait qu’ils seront à jamais tracés, donc quelque part ce sera un piège pour eux d’obtenir un document biométrique, donc c’est bien une protection qui peut être utilisée« .

Faudra-t-il se mettre une puce dans le cou ?

La position de Christophe Naudin qui, seul sur le plateau, ne pouvait donc être critiquée, mérite à tout le moins d’être commentée.

D’une part parce que les terroristes se foutent comme d’une guigne d’être « à jamais tracés » : kamikazes, pour ce qui est des islamistes, ils seront morts avant même d’être identifiés. Point barre.

D’autre part parce que l’usurpation d’identité vise précisément à déjouer la traçabilité, et qu’il suffira donc aux fraudeurs d’adopter l’identité de quelqu’un d’autre pour ne pas être repérés. Ce qui, pour les bidouilleurs informatiques, et biométriques, n’est pas si cher, ni si compliqué, qu’on pourrait le penser (cf « La surveillance high tech est-elle soluble dans le low tech ? [5]« ).

Il se trouve que la conclusion du reportage d’ONPP fut mienne : « la loi informatique et libertés a été votée en France pour justement éviter que le gouvernement ou l’administration puisse croiser tous les fichiers, avec le spectre de ce qui s’est passé, en France, pendant l’Occupation : si l’administration de Vichy avait eu toutes les informations qu’on a aujourd’hui à disposition, qu’est-ce qui se serait passé ? »

La conclusion de l’intervention de Christophe Naudin n’en fut pas moins inintéressante.

. Fogiel : « Pour terminer en 30 secondes, peut-on dire que plus on avance plus ce sera compliqué de falsifier une identité ? »
. Audin : « Je ne crois pas, je pense que la biométrie (…) va être inévitable, et je suis pour la biométrie »
. Fogiel : « Mais est-ce qu’on va vers une société plus sécurisée ou pas du tout ? »
. Audin : « Si on prend les décisions politiques qui vont bien, c’est à dire un petit peu de courage politique, oui, on devrait »
. Fogiel : « Donc il faudrait être un peu sécuritaire »
. Edouard Baer : « Et donc dans 10 ans quelqu’un reviendra sur ce plateau en disant que c’est très grave aujourd’hui : on peut truquer les passeports biométriques, il faut se mettre une puce dans le cou, la France a peur… »
. Fogiel : « Mais on sera plus là dans 10 ans Edouard »
. Audin : « Je crois que si on assure votre identité, on défend aussi votre liberté, c’est à dire qu’on empêche que quelqu’un d’autre puisse prendre votre identité, donc la biométrie, c’est pas à l’inverse du sécuritaire, du sur-sécuritaire, c’est justement la protection de l’individu lui-même »

Attribuer une note sur l’échelle de la suspiscion

Puce dans le cou ou pas, il en va aussi de l' »idéologie » de Naudin, dont l’unité de recherche est dirigée par Xavier Raufer [6], ancien fondateur du mouvement d’extrême droite Occident, et théoricien [7] de l’insécurité [8].

Le collectif des Virtualistes [9] s’était, il y a quelques années, fendu d’un mémorable édito à ce propos : « Une cheville ronde dans un trou carré [10]« , « expression métaphorique courante en anglais pour désigner des individus qui ne sont pas à leur place« .

Interrogé sur France Inter, Christophe Naudin avait en effet déclaré que « les papiers – l’identité anthropométrique – étaient obsolètes. Que l’identité aujourd’hui se mondialisait et ne résidait plus dans un patronyme culturellement référencé, donc dans un document matériel – falsifiable ou non – mais dans le corps. Que nous étions notre corps et vice-versa et qu’en se donnant la possibilité technique de scanner ce corps par tous les bouts, on pourrait, on saurait identifier à tout coup. Le corps est notre support identitaire, et la biométrie le remède miracle pour la planète. »

Les Virtualistes, pour le coup, n’étaient pas précisément d’accord :

L’identité au sens de la singularité de chacun(e) serait sur le point de disparaître. Gommée, éradiquée proprement. Chacun(e) devrait ressembler à l’autre, être sa copie, dérivée du même modèle génétique, physique ou mental. Ce qui attesterait alors de nous, de notre identité anthropométrique ne serait plus une photo ou un numéro sur une carte, mais un corpus de données, un data-corps, entreposé à jamais (si tant est que les machines et leurs mémoires soient immortelles) dans les mémoires du réseau, et identifiable par chacun de ses fragments. Un ensemble de datas prélevées sur chacun(e), éventuellement avant même la naissance, et stockées pour consultation ultérieure. Fragments de je et de nous, recompilés en temps réel à chaque contrôle. A cette cartographie charnelle intime viendraient s’ajouter au fil de la vie d’autres données complémentaires : où nous habitons, ce que nous mangons, ce que nous lisons, nos déplacements, lieux de vacances préférés, activités professionnelles et de loisirs, nos opinions politiques et religieuses, nos orientations sexuelles, et bien sur toutes entorses aux lois et règlements, toute déviation, toute différence et singularité ayant résisté à l’élagage. Cette incarnation informationnelle permettant de tirer notre portrait en toute occasion, de dessiner notre profil et de nous attribuer une note sur l’échelle de la suspiscion. Ou encore de nous vendre des produits inutiles mais  » sur mesure « . Tout cela pour le plus grand bonheur d’une population de plus en plus inapte à se défendre et qui demande donc qu’ « on » la protége.

Cf la VO : « Une cheville ronde dans un trou carré [10] »

D’autant que si l’usurpation d’identité peut, d’un point de vue sécuritaire, être considérée comme un fléau, la biométrie -qui ne fait que compliquer les modalités de l’usurpation d’identité, sans pour autant l’entraver, mais tout en créant un faux sentiment de sécurité- contribue en tout cas à l' »acceptabilité » de la (cyber)surveillance des citoyens.

Pour les Virtualistes, l’hypothèse de Naudin « d’une identité absolue et infalsifiable sont atterants. D’autant plus qu’elle induit l’existence d’une police omniprésente et omni-connaissante, toujours prête à se glisser dans vos pensées pour dire si elles sont  » correctes  » ou non. Un scénario tout droit sorti des plus angoissants romans de SF. Aldous Huxley ne parlait-il pas dans sa Préface nouvelle à la réédition du Meilleur des Mondes en 1946 d’une  » science complètement évoluée des différences humaines, permettant aux directeurs gouvernementaux d’assigner à tout individu donné sa place dans la société. (Les chevilles rondes dans des trous carrés ont tendance à avoir des idées dangereuses sur le système social et à contaminer les autres de leur mécontentement). « « .

Contrairement aux propos de notre expert, je pense que la sécurité n’est PAS dans l’identification systématique, qu’une société qui surveille tous ses citoyen(ne)s parce qu’elle ne veut pas leur faire confiance est viciée et que ce pire des mondes imminent est non seulement terrifiant mais inhumain. Les machines y seront les indéfectibles alliées d’une police omniprésente et d’un état totipotent [11], et les êtres réduits à l’état de fragments et de nombres. Entités parfaitement connues et transparentes, supposées ne rien cacher. Car comment parvenir à cacher quelque pensée que ce soit à ceux qui connaitront le tréfond de nos innés et de nos acquis, de nos gènes et de nos datas ? Comment être encore  » une cheville ronde dans un trou carré  » ?