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Ma 1/2 journée de la femme à l’Ecole militaire

En 2006, j’ai passé la moitié de ma journée de la femme à l’Ecole militaire. Ben c’est pas gagné : même féminisé, le « corps militaire » est sévèrement burné, et les couilles des jeunes élèves officiers sont encore plus grosses que celles des vieux hauts gradés.

En cette journée mondiale de la femme, j’étais en effet invité, à l’occasion du « Séminaire Interarmées des Grandes Écoles Militaires » (SIGEM [1]), à intervenir face à la crème de la future élite armée : 591 élèves officiers, dont une centaine de femmes, en grande tenue. Le sujet, imposé : « la préparation de l’avenir au ministère de la défense ».

SIGEMPourquoi communiquer ? Pour mieux faire taire…

Les premiers intervenants, généraux notamment, avaient pourtant rappelé que la « grande muette » ne pouvait plus l’être : « vous agirez en permanence sous l’oeil des medias (et) êtes tous des communiquants« , non sans préciser : « pas pour moucharder, mais pour rendre compte« . D’autant que la légitimité de l’armée dépend du soutien de l’opinion publique et qu’elle souhaite donc la présence des médias (« pour être soutenue« ).

Un général raconta ainsi qu’un militaire était chargé, il fut un temps, dans l’une des salles les plus secrètes du Pentagone, de localiser sur une mappemonde la présence des équipes de CNN, ce qui permettait de savoir quand, et où, lancer les opérations.

Par ailleurs, « communiquer est un devoir démocratique, le peuple français doit savoir ce que l’on fait« . Et le contrôle de l’information n’est plus possible (cf les photos d’Abou Graib par exemple), résultat : « vous êtes condamnés à dire la verité (et) à être transparent (parce que) quand on ne ment pas on ne peut pas être pris en défaut« . Inutile donc de chercher à mentir, ou biaiser, mieux vaut anticiper, agir plutôt que réagir, ne serait-ce que pour désactiver toute vélléité de critique.

Evoquant le récent crash de deux Mirage, le responsable de la communication de l’armée de l’air expliqua qu’il fut au parfum dans les 10 minutes, et que le communiqué de presse fut envoyé dans l’heure. Le résultat fut au-delà des plus folles espérances des services de comm’ de la « Grande Muette » : aucune reprise ou presque [2] dans les médias. Alors que s’ils n’en avaient pas parlé, nota, taquin, le communiquant en chef, cela n’aurait pu qu’éveiller leur curiosité -forcément malsaine-; comme quoi « on a parfois de la chance dans son malheur« . Et un général de conclure : « j’espere qu’on entendra plus parler de la grande muette« .

Quand les généraux veulent informer, des élèves officiers veulent désinformer

La police vous parle [3]Voire : on aurait pu s’attendre, de la part de la crème des élèves officiers issus des grande écoles militaires, à une certaine forme de respect par rapport aux propos des hauts gradés qu’ils étaient venus écouter. Mentons relevés, le dos d’équerre et le doigt sur la couture de leurs pantalons, les deux élèves sélectionnés pour poser des questions cherchèrent en fait à savoir s’il n’y avait pas d’autres moyens de procéder afin de mettre les médias de leur côté, au pas, quitte à les acheter.

Jean-François Bureau [4], porte-parole du ministère de la défense et modérateur des débats, fit ce qu’il put pour rappeler ces élèves officiers à l’ordre, et aux devoirs que les hauts gradés montés à la la tribune venaient pourtant, précisément, de leur expliquer.

Pour illustrer son propos, il alla jusqu’à préciser que ce n’est pas parce que les deux principaux marchands d’armes français, Lagardère et Dassault, avaient mis la main sur une bonne partie de la presse française, et que les médias sont mal en point (et il l’a répété au moins deux fois) et donc de plus en plus soumis à des logiques industrielles, et dépendants de la publicité, que l’on peut pour autant se risquer à ne serait-ce qu’esquisser une quelconque volonté de les manipuler : « il en va de l’éthique, nous avons des devoirs démocratiques ! »

De la journée de la femme et des 364 autres journées de l' »armée« 

L’ambiance était, par ailleurs, plutôt potache, et la seconde table ronde, avec 1/2h de retard sur le programme prévu, et au moins 3 élèves officiers profondément endormis, un peu plus tendue. De temps en temps, quand un « bon mot » faisait brouhaha, certains lançaient des « chut !« , et ça se calmait. Mais la pression montait.

Abou GraibLe JT préparé par les étudiants en journalisme de l’Institut Français de Presse les défoula. Car si, comme le déclara le général qui conclua la journée, celle-ci avait permis de rappeler « le rôle central de l’homme, et pour quelques heures encore de la femme » (rires, et applaudissements) dans l’armée, qui dit journée de la femme dit reportages sur des femmes. Et ce marronier [5] journalistique laissa échapper quelques perles dans les travées.

Les élèves officiers militaires femmes avaient ainsi reçu le matin même une rose (brouhaha, « ouhhhhhhhhh« , dans l’assemblée). L’une d’entre-elles évoqua l’absence de droits des femmes dans d’autres pays (brouhaha, « ouhhhhhhhhh,« ), et se fit moucher par un humoriste caché : « de quels droits ? elles n’ont pas de droits ! » (tabac chez ces élèves officiers). Interrogée sur l’absence de femmes dans les sous-marins, elle répondit qu’il avait déjà fallu adapter les navires, que c’était donc compliqué, que cela n’était donc pas près d’arriver (brouhaha, « ouhhhhhhhhh, aaaaaaahhhhhhhh« ).

N’écoutant que leur courage, les étudiantes de l’IFP n’en ont pas moins interrogé quelques élèves officiers de type mâle : l’un d’entre-eux évoqua ainsi « les 364 autres journées de l’armée » (sic, et brouhaha), un autre, tout sourire, et charmeur, renvoya la camerawoman à sa condition de femme (brouhaha, « ouhhhhhhhhh« ) qu’il dragua parce que mignonne (« aaaaaaahhhhhhhh« ). Un autre, le crâne un peu plus rasé, et titillé par la journaliste qui lui demandait s’il était plutôt gentil ou méchant avec les femmes, concèda qu’il lui arrivait effectivement d’être méchant avec certaines d’entre-elles, « pour des raisons de capacités dans certains domaines » (resic, et « brouhaha, ouhhhhhhhhh, aaaaaaahhhhhhhh« ).

La délinquance a « blessé« , euh, baissé, depuis qu’on est là

Passons donc au reportage consacré à une unité de gendarmes mobiles débarquée à Paris dans le cadre de la lutte contre l’insécurité. Le reubeu de banlieue à la casquette et à l’accent qui sied, et qui venait (donc) d’être contrôlé, fit le bonheur de l’assemblée, en évoquant ces condés : « c’est des êtres humains comme nous, ils ont un coeur comme nous et sont pareils que nous » (transcription non littérale, le brouhaha -légitime- dans les travées ayant masqué les propos confondants du figurant -mais que fait l’IFP ?).

Disney soldierLes gendarmes, eux, évoquèrent l’éloignement (8 mois sur 12), qui revenait à confier l’éducation des enfants et autres tâches familiales à leurs femmes (brouhaha, « aaaaaaahhhhhhhh« ), mais aussi le fait que le plaisir était collectif et que « si on prend de l’adrénaline parce que ça a chauffé, c’est qu’on fait notre métier« . De là à penser que les bleus prennent tout autant leur pied que les cailleras dès lors qu’il s’agit de se castagner, il n’y a qu’un pas… allègrement franchi par le gendarme mobile interviewé : « la délinquance a blessé, euh, baissé, depuis qu’on est là » (reresic, et « brouhaha, ouhhhhhhhhh, aaaaaaahhhhhhhh« ).

Mais sinon, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les élèves officiers étaient invités à profiter de ce qui relève également d’une grande perm’@Paris pour visiter gratuitement les musées du Louvre, d’Orsay, Carnavalet…: les élèves officiers de la vénérable école de Saint Cyr [6] optèrent ainsi pour un détour par EuroDisneyland Paris, les marins, eux, pour les « petites femmes » du Lido… A noter, à ce titre, l’étonnant à-propos, journée de la femme oblige, des organisateurs du SIGEM, qui proposaient également 60 billets gratuits pour une pièce de théâtre, « Arrête de pleurer Pénélope« , présentée comme suit : « Trois copines se réunissent pour enterrer la vie de jeune fille d’une quatrième. Qu’est-ce qu’elles peuvent bien se raconter ? Forcément des histoires de nanas« . Parité oblige, ou signe d’un possible retournement de tendance, la pièce proposée cette année, « Des soucis et des potes ! » est « la réponse des garçons à ‘Arrête de pleurer Pénélope !’« , le producteur d’icelle étant parti « en quête d’une pièce sur les défauts masculins« …

Casse-bonbons et bottes de cuir

En résumé, un « Séminaire Interarmées des Grandes Écoles Militaires » consacré à « la préparation de l’avenir au ministère de la défense » où les gradés expliquent qu’anticiper la réaction des médias peut contribuer à les faire taire, et où les élèves officiers n’en demandent pas moins s’il ne serait pas plutôt possible de les manipuler, où les réactions sexistes fusent moins des vieux généraux que de ceux qui seront amenés à les remplacer, et où cette future élite militaire, non contente d’applaudir à la violence sexiste, accueille également la violence policière avec des éclats de rire. Il y avait une centaine de femmes, elles aussi élèves officiers, dans les travées. On ne les entendit quasiment pas.

Pourtant, et c’est le ministère de la Défense qui l’écrit cette année, à l’occasion de la journée de la femme, et en prévision du SIGEM 2007 : les femmes militaires ont aussi la parole [7]. Elles représentent d’ailleurs plus de la moitié des effectifs dans 4 des 8 écoles militaires recensées. Comme le note Sara, 23 ans, de l’Ecole nationale supérieure des ingénieurs en étude et technique d’armement, « Le côté militaire de ma formation est très attractif pour une femme, en matière d’aguerrissement physique et psychologique, ainsi que pour les possibilités de s’affirmer qu’il apporte« . Courage, les filles… je ne voudrais surtout pas vous faire porter le chapeau, mais il serait peut-être temps de leur casser les couilles, aux burnés de l’armée, vous ne croyez pas ?

les femmes militaires ont aussi la parole [7]