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« Safari ou la chasse aux Français »

Ce 30 janvier, la France n’a pas célébré la « journée européenne de la protection des données [1]« , à l’exception d’un sondage (opaque) publié sur le site de la CNIL.

Le 6 janvier, la France n’a pas non plus célébré les 30 ans de la CNIL et de la loi informatique et libertés, à l’exception d’une (pauvre petite) vidéo publiée sur le site [2] de la CNIL.

Permettez donc que je contribue au silence ambiant avec cette retranscription de l’article qui a changé la face de la vie privée.

Publié le 21 mars 1974 dans les pages « Justice » du Monde, il allait éveiller l’opinion publique sur le problème du fichage informatique, et déboucher sur l’adoption de la loi informatique et libertés, l’une des toutes premières dans le monde (si quelqu’un a un historique de ce type de lois-là, je [3] suis preneur).

Safari (sic, pour « Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire des Individus« , cf le reportage [4] de l’INA) prévoyait d’instituer un identifiant unique pour interconnecter les fichiers administratifs.

34 ans plus tard, la question est toujours d’actualité.

Safari ou la chasse aux Français

Safari ou la chasse aux Français

Rue Jules Breton, à Paris-13e, dans les locaux du ministre de l’intérieur, un ordinateur Iris-80 avec bi-processeur est en cours de mise en marche. A travers la France, les différents services de police détiennent, selon la confidence faite par un très haut magistrat, 100 millions de fiches, réparties dans 400 fichiers. Ainsi se trouvent posées – et, à terme, théoriquement résolues – les données d’un problème comprenant, d’une part, l’énormité des renseignements collectés; de l’autre, la méthode à définir pour faire de cet ensemble une source unique, à tous égards, de renseignements.

L’histoire du très puissant appareil qu’est l’Iris-80 est exemplaire du secret qui entoure l’épanouissement de l’informatique dans les administrations, quelles que puissent être les informations qui filtrent ici et là.

Puissant, cet Iris-80, une comparaison le démontre sans contestation. L’appareil employé pour engranger les données de l’opération Safari, qui concerne l’identification individuelle de l’ensemble des 52 millions de Français, a une contenance de 2 milliards d’octets. Celle de l’ordinateur du ministère de l’intérieur est de 3,2 milliards d’octets.

C’est dire que la mise en route d’Iris-80 – dont la location coûte 1 million de francs chaque mois – a été précédée d’études, de tests, pour en éprouver les possibilités. D’autant qu’à lui seul il doit remplacer les trois GE 400 et le 10070 de la C.I.I. qu’employait jusqu’alors la place Bauveau.

De vastes ambitions

C’est sur ce dernier ordinateur qu’ont eu lieu les essais. Pour 20% de sa capacité, il a été consacré à la gestion du personnel communal de la Ville de Paris. Mais, pour le reste (80%), il a servi à tester les programmes devant être fournis à l’Iris-80, afin de rendre cohérentes entre elles les données contenues dans les 400 fichiers que possèdent les services de police : renseignements généraux, direction de la surveillance du territoire, police judiciaire, etc.

A titre d’anecdote, on peut rappeler que ce 10070 de la C.I.I., à l’origine, budgétairement, n’était pas du tout prévu pour la tâche qu’il a finalement assurée, mais pour « traiter » les données administratives du Fichier national des constructeurs (F.N.C.). Il s’agit donc apparemment d’un détournement manifeste de crédits d’études, ce qui n’était sans doute pas le voeu du Parlement qui les vota.

Il n’y a pas que cela. Le ministère de l’intérieur a d’encore plus vastes ambitions. Détenteurs, déjà, du fichier national du remembrement, les services de M. Jacques Chirac font de grands efforts pour, affirme-t-on, s’en adjoindre d’autres : le cadastre, le fichier de la direction nationale des impôts et, plus grave peut-être, celui du ministère du travail.

De telles visées comportent un danger qui saute aux yeux, et que M. Adophe Touffait, procureur général de la Cour de cassation, avait parfaitement défini le 9 avril 1973 devant l’Académie des Sciences morales et politiques, en disant : « La dynamique du système qui tend à la centralisation des fichiers risque de porter gravement atteinte aux libertés, et même à l’équilibre des pouvoirs politiques. »

Philippe Boucher (21 mars 1974)

Source : Droits Et Libertés face à l’Informatisation de la Société [5].

MaJ 08/2009 : la version intégrale de l’article a depuis été publié dans Mag-Securs, consultable là : De Safari à Edvige : 35 années d’une Histoire oubliée malgré la création de la CNIL [6] :

[7]