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Direct Matin m’a censuré, et Le Monde avec

Ce mercredi 28 janvier 2009, j’étais interviewé par un journaliste du Monde qui préparait, pour Direct Matin Plus (Le Monde y possède 30 %), un article au sujet des problèmes posés par le « passe » Navigo.

Le lendemain, Direct Matin Plus censurait l’article, au profit d’une jolie page colorée de publicité. La preuve :

Ce qui devait être publié :
[1]
Ce qui l’a été :
[2]

L’info, révélée par Nicolas Voisin sur Twitter [3], et reprise par Rue89 [4], commence à faire le tour des rédactions.

Les problèmes posés par le passe Navigo

Je ne sais pas ce pour quoi l’article a été censuré, sinon que le groupe Bolloré, éditeur de Direct Matin, a été « retenu [5] » par la RATP, qui lui a accordé le droit de distribuer ses journaux dans 176 de ses 300 stations, situation de quasi-monopole [6] qui a peut-être incité le journal à s’auto-censurer. Selon Rue89, l’article aurait été considéré comme « à charge« . Voire.

Car que lit-on dans ce papier qui, s’il avait été publié, aurait fait bien moins de bruit qu’il risque d’en faire, aujourd’hui, parce que censuré ?

Que, pour l’usager, « les gains de l’abandon du vieux coupon sont ténus« , et que le temps gagné aux portiques est « infime« .

Que « le vrai «+produit» est au bénéfice de la RATP et de ses partenaires commerciaux » :

Les données personnelles délivrées lors de l’achat du passe permettront de «faire de la relation client», poursuit Patrick Docquier, responsable des systèmes d’information. La RATP va pouvoir faire des offres commerciales ciblées, adaptées aux profils socioprofessionnels des usagers franciliens, en exploitant une énorme base de données. «Nous allons, par ce biais, fidéliser les clients», dit encore ce spécialiste.

Je m’interrogeais, pour ma part, sur ce que deviendra le passe Navigo, et son système de surveillance et de traçabilité :

La RATP, JCDecaux et Publicis ont, via un partenariat, criblé le métro de panneaux publicitaires interactifs capables d’envoyer de la publicité sur les téléphones portables situés à proximité via une connexion Bluetooth. Quels seront les éléments que la RATP intégrera dans les puces des centaines de milliers d’usagers des transports publics ? Personne ne le sait», avertit Jean-Marc Manach, journaliste et co-organisateur des Big Brother Awards [7], un collectif qui désigne chaque année l’organisation qui s’est «la plus distinguée dans sa promotion de la surveillance et du contrôle des individus». La RATP a assuré, hier, que la connexion Bluetooth des panneaux publicitaires n’est pas activée.

La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), appelée à la rescousse, rappelait de son côté qu’«aller et venir librement, circuler anonymement relèvent des libertés fondamentales dans nos démocraties», qu’elle avait invité le transporteur à créer un passe anonyme, puis effectué une opération de testing dont les résultats se sont avérés «Médiocres, voire dissuasifs».

On apprenait enfin que le Syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif) reporte la responsabilité de la diffusion du passe anonyme sur la RATP qui, pour sa part, estime que le problème est réglé, quand bien même le site internet dédié au passe Navigo [8] ne fait toujours pas mention de l’existence d’un passe anonyme…

Bref, un bon résumé de la situation, certes un peu critique, mais qui donne la parole à toutes les parties, et c’est précisément ce que les lecteurs attendent d’un journal d’information comme Le Monde.

Dites, Mr Bolloré, vous pourriez lever la censure sur l’article du Monde que votre rédaction a censuré, SVP ?

C’est la deuxième fois que Direct Matin censure un article du groupe Le Monde. La première fois, c’était un article [9] d’un ancien consul hongrois, paru dans le Courrier International, sur la façon toute particulière que peuvent avoir les policiers français d’accueillir des musiciens tziganes à la douane, et qui se concluait ainsi :

Il y a trente ans, à l’époque brejnévienne, les autorités soviétiques agissaient de manière plus démocratique que ne l’ont fait, il y a quelques jours, les fonctionnaires français de notre histoire.

L' »histoire toute simple de cette petite censure, franche et décomplexée« , avait été révélée par Alexandre Lévy, journaliste au Courrier International, sur son blog [10].

L’affaire avait ensuite fait grand bruit [11], et avait conduit Vincent Bolloré a, finalement, republier [12] l’article que sa rédaction avait initialement censuré.

Le problème se pose de nouveau aujourd’hui. Selon Rue89, les téléphones portables auraient « chauffé » ces derniers jours, et l’article devrait être republié cette semaine. Manière d’éviter toute la mauvaise publicité qu’avait suscité la précédente censure ?

Autant je suis critique envers le passe Navigo, les problèmes qu’il pose, à commencer par la banalisation de la société (et des technologies) de surveillance qu’il nous impose, autant je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse également entraîner une telle atteinte à la liberté d’expression (il n’est pas fréquent de voir Le Monde censuré).

Le parallèle n’est pas anodin : on ne retient généralement de 1984 [13], le roman de George Orwell, que la seule société de surveillance. On oublie que, pour y parvenir, Big Brother organise aussi un appauvrissement planifié de la langue, avec sa novlangue, et que les livres y sont interdits.

Ce lundi, je suis invité à venir parler du passe Navigo dans « La parole est à vous [14]« , sur la chaîne de télévision Cap24. La RATP et le STIF se sont tous deux désistés. Ils refusent de parler.

Ceux qui voudraient en savoir plus à ce sujet peuvent lire l’article que j’avais écrit pour LeMonde.fr : Le passe Navigo “anonyme” n’existe pas [15], ou encore les nombreuses nominations [16] aux Big Brother Awards de la RATP et du STIF pour leur « passe » Navigo.

Ceux qui voudraient en savoir plus sur l’état de censure qui prévaut peuvent aussi consulter l' »Observatoire de la censure façon Nicolas Sarkozy [17] » que j’avais compilé pour le Canard Enchaîné.