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La déontologie n’empêche pas le pompage

Le Journal du Dimanche m’a pompé. Ce sont des choses qui arrivent. C’est d’ailleurs la troisième fois que la presse papier s’approprie une info que j’avais initialement relayée. J’ai, il est vrai, le « tort » d’être un journaliste dont le principal média est l’internet.

Dans son édition du 18 septembre 2005, le JDD titre en Une :

La carte Vitale en question
Elle n’est pas sécurisée : est-ce grave ? En Vendée, des pirates prouvent qu’on peut frauder la Sécu. La police intervient. L’assurance-maladie se veut rassurante. Nos révélations, notre enquête.

Et en page 2 [1] :

Les cartes Vitales mal sécurisées
Exclusif
. L’assurance-maladie a fait le choix de limiter la sécurité de la carte Vitale. C’est ce que viennent de démontrer deux experts. Lire les informations confidentielles qu’elles contiennent et fabriquer de fausses cartes est un jeu d’enfant.

L’enquête « exclusive » de Yann Philippin reprend, grosso modo, la teneur et les infos de l’édito que j’avais écrit pour InternetActu [2], « Y’aura-t-il un scandale Sesam Vitale ? [3]« , le 9 septembre dernier. En sus, une photo de Jérôme Crétaux -que je n’avais eu qu’au téléphone, merci au JDD-, et la réponse du GIE Sesam Vitale : « Nous avons choisi de ne pas activer tous les mécanismes de sécurité pour des raisons de simplicité d’usage et d’appréciation du risque » (merci, aussi).

Le JDD ne cite que Pirates Mag’ [4] (magazine papier qui, fait rarissime, a republié sur le net les deux articles qu’il a consacré au sujet). Il s’approprie cela dit l' »exclusivité » de l’enquête que Vincent Granier, de l’Agence de Presse Médicale (APM [5], dont les infos ne sont a priori accessibles qu’aux abonnés -payants- de cette agence de presse spécialisée), avait publié le 17 août [6] dernier, et des informations que l’Association de Défense des Assurés Sociaux (ADAS [7], qui republie des extraits [8] de l’article du JDD), particulièrement active sur le sujet, n’a de cesse de crier sur le net depuis des mois.

Pompé oui, mais pour la 3e fois

Ce n’est pas la première fois que je vois la presse papier s’accaparer des infos initialement publiées, par moi, sur le www.

En février 2001, j’avais rendu public, sur feu transfert.net, le texte du projet de loi sur la société de l’information (LSI [9]) du gouvernement Jospin. Yves Eudes, du Monde, voulait savoir comment je me l’étais procuré, afin de pouvoir en parler en étant assuré que, bien que journaliste internet, j’étais digne de foi. Il jura mordicus qu’il ne révélerait pas mes sources. Ma rédac’ chef lui expliqua +- comment je m’étais procuré ledit texte, et il fit son « papier« , non pas sur le projet de loi, mais sur la façon dont je me l’étais procuré…

Le 1er août 2003, je publiais sur Transfert.net un article [10] sur l’arrestation du cerveau présumé de la nébuleuse sos-racaille, auquel je venais de consacrer un dossier [11], fruit de plusieurs années d’enquêtes. Yann Laurent, lui aussi du Monde, me contacte en m’expliquant que, soit il en parle sous forme de brève, à partir de mon papier, soit je lui donne plus de billes, et le Monde pourra y consacrer un vrai article. Je passe plus de 2 heures à le briefer, d’autant qu’il n’y connaissait rien; il me certifie qu’il citera bien évidemment sa source; son article n’évoqua aucunement Transfert.net. Par contre, l’AFP, entre autres, publia dans la foulée une dépêche au sujet de ce « scoop » soi-disant révélé par Le Monde…

Je ne suis qu’un modeste journaliste. Qui cherche à faire son travail du mieux qu’il peut. Du genre fouille-merde, teigneux, qui aime appuyer là où ça fait mal, et puis parler des gens bien. Parce que c’est plus marrant, et plus intéressant, tant pour moi qui enquête que pour les lecteurs qui attendent des journalistes de mieux comprendre le monde comme il va, ou pas.

La déontologie n’empêche pas le pompage

Mais je travaille sur le Net, et pas pour un « grand » média dont le nom est familier au grand public. Ainsi, le Nouvel Obs’ [12] écrit que « les cartes Vitale sont mal sécurisées, révèle le Journal du dimanche« , TF1 [13] (qui reprend des propos parus dans InternetActu) que « deux informaticiens, traquant les failles de sécurité de la carte Vitale, se sont attirés les foudres de l’assurance-maladie, révèle le JDD » et que « l’affaire, révélée par le Journal du Dimanche, semble plutôt malvenue« , le Figaro [14] que « Le Journal du dimanche a en effet révélé hier…« , Silicon.fr [15] (qui cite pourtant InternetActu), que « L’affaire a été révélée par le Journal du Dimanche« , etc.

La déontologie [16] journalistique n’oblige pas expressément ces derniers à citer leurs sources. La charte des devoirs professionnels des journalistes français [17], qui date de 1938, avance qu' »un journaliste, digne de ce nom (…) ne commet aucun plagiat, cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque« ; selon la déclaration des devoirs et des droits des journalistes [18], qui date de 1971, les journalistes ont le devoir de « s’interdire le plagiat« .

A ce titre, le JDD n’a pas expressément violé la déontologie, vu qu’il n’a ni cité ni recopié de propos publiés par ailleurs, mais qu’il s’est contenté de s’approprier l' »exclusivité« , d’une enquête et d’un scoop révélés par des tiers.

Le pompage du Net par les presse et les médias audiovisuels est quelque chose de relativement fréquent. Pour mémoire, Daniel Schneidermann lui-même s’était fait épingler par le Portail des copains [19], entre autres, pour avoir pompé plusieurs webzines sans les citer.

Pour ma part, si je préfère le journalisme sur l’internet à la presse écrite ou aux médias audiovisuels, c’est précisément parce que l’on peut citer ses sources, faire des liens, permettre aux lecteurs de vérifier l’information qu’on lui rapporte.

Dans son édito intitulé Internet et médias : la fracture [20], Cyril Fievet écrivait que « les médias traditionnels ont depuis toujours l’habitude de se citer mutuellement, et même de se mêler. N’entend-on pas depuis toujours, à la radio, des “revues de presse” quotidiennes résumant ce qui est publié dans les journaux et magazines ? (…) De tout cela, le net est étrangement absent« .

Effectivement, il y a des fois, comme ça, où le net est étrangement absent.