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Les fichiers policiers ont le droit d’être « hors la loi » (jusqu’en 2010 en tout cas)

Ce mercredi 18 juillet, je serai au Téléphone Sonne [1], à partir de 19h20, sur France Inter, pour parler de la surveillance en général, et du dernier rapport de la CNIL en particulier. Occasion de publier la version originale, non coupée, de l’article [2] que j’ai écrit pour LeMonde.fr au sujet de ce que d’aucuns pourraient qualifier de « scandale » des fichiers policiers.

On commencera avec un point de droit, dont je ne me lasse pas (ami lecteur, ne zappe pas, c’est la honte de la maison poulaga) : l’article 21 [3] de la loi [4] « relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés« , adoptée en 1978 et révisée en 2004, stipule que :

Les responsables de traitements non automatisés de données à caractère personnel intéressant la sûreté de l’Etat, la défense et la sécurité publique (…) disposent, pour mettre leurs traitements en conformité avec (…) la présente loi, d’un délai allant jusqu’au 24 octobre 2010.

Cette « disposition transitoire » visait à mettre un terme au fait qu’un certain nombre des fichiers policiers ont, ces dernières années, été régulièrement brocardés du fait qu’ils ne respectaient pas la loi informatique et libertés. Le STIC [5] et JUDEX [6], initiés dans les années 80, n’ont ainsi été légalisé respectivement qu’en… 2001 et… 2006.

Les fichiers policiers ne respectant pas la loi, il a suffit de modifier celle-ci afin de leur laisser le droit de ne pas avoir à la respecter, jusqu’en 2010 en tout cas. Logique imparable, qui n’a d’ailleurs fait l’objet de strictement aucun débat [7] lorsque l’Assemblée nationale a voté cet article de loi.

Fonctionnant en marge de la loi, il n’est pas étonnant, dès lors, que les problèmes s’accumulent : 53% des fichiers contrôlés par la CNIL en 2006 ont du être rectifiés, plusieurs milliers de personnes auraient été licenciés du fait de leur consultation, et il faut aujourd’hui patienter plus d’un an avant de pouvoir exercer ses droits d’accès, et de rectification (cf renseignementsgeneraux.net [8] pour savoir comment procéder, ainsi que Fichiers policiers : « jurisprudence Rebelle » pour tous les citoyens ! [9] sur le site des Big Brother Awards France).

53% d'erreurs dans les fichiers policiers contrôlés par la CNIL en 2006 [10]

Le rapport Bauer [11], consacré à l’amélioration du contrôle et de la gestion des fichiers de police et de gendarmerie, a quant à lui révélé, l’an passé, que plusieurs autres fichiers étaient encore à ce jour hors la loi, et qu’ils seront « supprimés » en 2010. Ainsi du Fichier des personnes nées à l’étranger (FPNE), créé en 1975 et qui contient 7 millions de fiches, ou encore du Fichier alphabétique de renseignements (FAR), qui, lui, contient plus de 60 millions de fiches…

Je peux comprendre que, de prime abord, la situation puisse choquer. Il n’est pas facile de se faire à l’idée que les institutions censées protéger les biens et les personnes « dans le respect [12] de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales et des lois« , violent la loi informatique et libertés, l’une des principales garantes des droits de l’homme pour ce qui est de la protection de nos libertés.

Ami lecteur (de la maison poulaga, ou pas), tu liras à ce titre avec attention le dossier [13] que j’ai consacré, toujours dans LeMonde.fr, aux difficultés rencontrées par la CNIL. Et elles sont légion.

Comme tout ceci est d’un abord quelque peu difficile à appréhender, et que j’avais, faute de place, omis de préciser ce qui précède, ainsi que le communiqué [14] la FIL qui avait, le premier, soulevé le lièvre de cette illégalité continue des fichiers policiers, lemonde.fr a préféré couper les deux passages qui en causaient (il faut dire aussi que les absents ont toujours tort, et je n’étais pas, ce soir-là, à la rédaction pour répondre à ses questions).

Fidèle à l’esprit [15] de rewriting.net qui, comme son nom l’indique, vise entre autres à republier les versions originales, non amputées, des articles revus et corrigés par les rédactions pour lesquelles j’ai l’heur de travailler, vous trouverez donc ici-bas la VO de mon papier, avec en gras, et en barré, les passages qui ont sauté.

Plus de la moitié des fichiers policiers contrôlés en 2006 par la CNIL étaient erronés [2]

De tous les problèmes auxquels sont confrontés la CNIL, l’un des plus parlants est probablement celui des fichiers policiers. La loi informatique et libertés à confié à l’autorité la charge du droit d’accès (indirect) qui permet à tout citoyen de demander à vérifier leur conformité. Or, la CNIL est débordée, et les fichiers, truffés d’erreurs, sont accusés d’entraîner un nombre grandissant de licenciements.

Considéré comme un « casier judiciaire bis« , le STIC [16] (pour Système de traitement des infractions constatées), garde la trace de tout individu considéré comme suspect, ou victime, par la police. Initié en 1985 sous Pierre Joxe et déployé à partir de 1994 sous Charles Pasqua, il n’a été légalisé qu’en 2001. Son équivalent auprès de la gendarmerie, JUDEX (acronyme de système JUdiciaire de Documentation et d’EXploitation), créé en 1986, n’a quant à lui été légalisé qu’en novembre 2006.

Bien qu’ils aient tous deux fonctionné, pendant des années, en violation de la loi informatique et libertés, la refonte de la loi informatique et libertés, en 2004, a autorisé leur fusion au sein d’un même système baptisé ARIANE [17] (pour Application de rapprochements, d’identification et d’analyse pour les enquêteurs), qui devrait prendre effet fin 2007 début 2008.

Depuis 2001, ces fichiers sont consultés dans le cadre des « enquêtes de moralité » précédant les demandes de naturalisation, mais aussi l’embauche ou l’habilitation des professionnels de la sécurité (publique ou privée), employés aux aéroports et préfectures, etc. En deux ans, et rien qu’à Roissy, plus de 3 500 [18] salariés auraient ainsi perdu leur emploi suite à la consultation de ces fichiers.

Depuis 2001, la CNIL dénonce chaque année le nombre croissant d’erreurs recensées dans ces fichiers (voir notre infographie) : en 2001, 25% des 162 fichiers policiers contrôlés par la CNIL avaient été modifiés ou effacés parce qu' »erronés, manifestement non justifiés ou dont le délai de conservation était expiré« .

Malgré l’épuration, en 2004, de plus de 1,2 millions de fiches, la CNIL constatait, en 2005, que le taux d’erreurs était passé à 44% (pour 465 fichiers vérifiés). Cette année, la CNIL a rectifié 54% des 532 fichiers qu’elle a contrôlé dans le STIC ou JUDEX.

LES FICHIERS POLICIERS ONT JUSQU’EN 2010 POUR SE CONFORMER À LA LOI

Le rapport [11] d’Alain Bauer consacré à l’amélioration du contrôle et de la gestion des fichiers de police et de gendarmerie, rendu public en 2006, donne une idée de l’ampleur du fichage policier. En 2005, le STIC était ainsi consulté près de 33 000 fois par jour. En 2006, il recensait près de 29 M de procédures, 32 M d’infractions, 22,5 M de victimes et 4,7 M de personnes « mises en cause« . JUDEX, quant à lui, contiendrait 2,8 M de fiches concernant des personnes « mises en cause« , et serait consulté près de 7500 fois par jour.

Dans les deux mois suivants le scandale du fichier des renseignements généraux de Bruno Rebelle, la CNIL a reçu autant de demandes d’accès (émanant d’un grand nombre de journalistes et d’hommes politiques notamment) aux fichiers RG que dans toute l’année passée.

La CNIL, qui ne dispose que d’un poste et demi pour traiter toutes ces demandes d’accès aux fichiers policiers, a accumulé un retard de 3 000 demandes d’accès en attente, certaines datant encore de 2003. Il faut aujourd’hui attendre en moyenne plus d’un an pour pouvoir faire exercer ses droits. Une situation qualifiée par Alex Türk, qui ne sait pas comment résorber ces délais à rallonge, d' »extrêmement préoccupante« .

Le rapport Bauer révèle également qu’un certain nombre de fichiers ne respectent toujours pas la loi informatique et libertés. Celle-ci, censée protéger les citoyens des dérives en matière de fichiers, notamment policiers, prévoit cela dit paradoxalement que les fichiers dits « de sûreté » ont jusqu’en 2010 [19] pour se conformer à la loi.

« Inconnu déravorablement des services de police »

Dans son rapport 2006, la CNIL donne quelques exemples des dérives en matière de fichiers policiers.

Suite à une erreur de saisie, un jeune homme qui avait fait l’objet d’un contrôle pour défaut de rétroviseur, était fiché pour recel. Son signalement a été effacé.

Un employé de sécurité de la RATP avait perdu son agrément parce qu’il était signalé dans une affaire de violences volontaires. L’affaire avait été classée sans suite, mais il restera quand même fiché pendant 40 ans.

On a aussi vu des victimes être fichées comme suspectes ou encore cette mention, visant un jeune des cités : « inconnu défavorablement [20] des services de police« .