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Les surveillants surveillés (l’anthologie, papier)

[1]C’est pas pour dire, mais les Zones [2] ont de la gueule : vous avez peut-être entendu parler des « Lettres de non-motivation » [3] de (l’artiste) Julien Prévieux, de « Rêves de droite : Défaire l’imaginaire sarkozyste » [4], de (la journaliste) Mona Chollet, de la « Petite histoire de la voiture piégée » [5], du sociologue (et ancien camionneur) Mike Davis, de « Propaganda – Comment manipuler l’opinion en démocratie » [6], « LE manuel classique de l’industrie des relations publiques », selon Noam Chomsky, écrit par le neveu de Sigmund Freud, qui orchestra des campagnes de déstabilisation politique en Amérique latine, main dans la main avec la CIA….

Si vous n’en avez pas entendu parler, ruez-vous sur ces liens, d’autant que les livres de Zones sont en « Lyber Zones« , et donc librement consultables sur l’internet.

Et si ça vous tente, achetez-les, ça fera du bien aux éditions de la Découverte, qui chapeautent cette collection centrée sur « la contre-culture, l’activisme et les nouvelles formes de contestation« .

Zones représentait, pour moi, l’une des meilleures initiatives éditoriales de cette « phase de réaction et de résistances, un long hiver dans lequel des batailles s’annoncent« .

Zones a pour objectif de présenter ces « espaces périphériques, détournés et souvent louches, marginaux et subalternes, où se trament les rébellions« .

Et là, il y a du lourd :

En 2006, j’étais cité comme témoin par la défense de faucheurs d’OGM qui étaient poursuivis pour « refus de prélèvement d’ADN », lors d’un procès à Orléans. Le président me donne la parole en lançant : « Qui représentez-vous ? » Je réponds que je suis président de l’Observatoire des libertés publiques. « Oui, mais encore ? » « Je dois dire que j’ai une grande expérience du fichage. J’ai dû être fiché pour la première fois à l’âge de douze ans. » « Quand était-ce ? » « C’était en octobre 1940. » Le président n’a rien dit. « Mais, deux ans après, j’ai été décoré par ça… » Et puis j’ai sorti de ma poche l’étoile jaune que la police française m’avait attribuée.

Le propos est de Maurice Rajsfus. Son Observatoire des libertés publiques [7] documente, depuis des années, les violences policières.

[8]Et son texte préface l’anthologie des Big Brother Awards [9], que les éditions Zones viennent de sortir [10], en librairie, et en lyber zones [11] sur leur site web.

Pour ceux qui ne le sauraient pas, je fais partie de ces BBA, qui décernent chaque année, dans une quinzaine de pays, des « prix Orwell » aux Ministres, élus locaux, hauts fonctionnaires, institutions, grands patrons ou petits chefs d’entreprises s’étant illustrés en matière d’atteinte à la vie privée.

Le livre est sous-titré « Les surveillants surveillés« , et revient sur les palmarès de nos huit « premières » années.

Les BBA sont l’un des seuls prix dont l’objectif est de disparaître. Mais plus ça va, plus ça empire et plus on doit continuer.

Zones nous a proposé d’en faire une « anthologie » qui complète, sous forme papier (et « lyber« ) le travail de documentation que nous faisons depuis maintenant 8 ans.

Les BBA-fr furent ainsi à l’origine de la révélation du « Livre Bleu [12] » du Gixel, le syndicat des industriels de l’interconnexion électronique qui, pour améliorer l’image des technologies de contrôle (biométrie, vidéosurveillance, puces RFiD, etc.), se proposait de les « accompagner d’un effort de convivialité (via) l’apport de fonctionnalités attrayantes (…) dès l’école maternelle (afin que) les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants« .

On trouve des centaines d’exemples de ce type, sur notre site web [9], qui se trouve être souvent référencé juste en-dessous, voire au-dessus, de ceux dont nous avons exposé la face cachée…

Restait à en faire une anthologie, sur papier. Nous nous y sommes pliés. Pis : nous y avions convié des gens comme Maurice Rajsfus, Hélène Franco (secrétaire générale du Syndicat de la Magistrature), le sociologue Loïc Wacquant, Jacques Testart, président de la Fondation Sciences Citoyennes, entre autres professionnels, universitaires, journalistes ou experts ès-« Big Brother« .

Vous y trouverez aussi, en sus, une « petite anthologie des lois sécuritaires » adoptées depuis que les attentats de 2001 ont lâché la bride aux profiteurs de guerre, contempteurs de nos libertés et fossoyeurs de nos démocraties.

En témoigne, entre autres, le « cas Sarkozy, multirécidiviste des atteintes à la vie privée« , que je me permets de recopier/coller ici.

Alors faites passer, et bonne lecture :

Nicolas Sarkozy est un cas : c’est le seul à avoir été, par trois fois déjà, exclu de la compétition, pour « racolage actif et passif, dopage, exhibitionnisme et outrage à magistrat ». Il avait en effet été nominé six fois en sept ans, dont deux fois pour l’« ensemble de son œuvre ». Depuis, Nicolas Sarkozy a été élu à la présidence de la République, et nous avons décidé de ne plus accepter de dossier le concernant. En effet, bien que multirécidiviste des atteintes à la vie privée, il bénéficie en quelque sorte de l’immunité présidentielle et ne peut donc être poursuivi. Ce qui ne nous empêche nullement de vous révéler la teneur du « fichier » que nous détenons à son sujet.

En 2002, sa toute première nomination l’était déjà pour… l’ensemble de son œuvre. Signe de la gravité de son cas, il n’en avait pas moins été classé « hors compétition », pour « dopage et exhibitionnisme » à l’unanimité du jury, au motif qu’il se serait délecté d’un tel prix. Le jury, cela dit, et de façon prémonitoire, notait alors qu’« un peu de persévérance lui donne sa chance pour les prochaines éditions ».

En 2003, il avait été nominé… deux fois. D’abord pour sa loi sur la sécurité intérieure (LSI), ensuite pour sa loi Perben II, ce qui lui avait d’ailleurs valu le prix Orwell État & Élus.

En 2004, il avait encore gagné, toujours avec Dominique Perben, assisté cette fois d’un troisième homme – l’ancien ministre socialiste Daniel Vaillant –, le prix Orwell pour l’ensemble de son œuvre en raison du fichier génétique FNAEG, initialement conçu pour les délinquants sexuels – et qu’il a lui-même élargi aux délits mineurs. En 2005, il avait, une fois encore, remporté le prix Orwell pour l’ensemble de son œuvre, à cause de sa loi antiterroriste, parce que l’état d’exception devenait la règle et qu’il étendait considérablement les moyens de surveillance (audio, vidéo, par Internet et par recoupement de fichiers, notamment privés).

En 2006, il était nominé en raison de son projet de loi de prévention de la délinquance (PLPD), qui encourage la délation et le fichage des enfants et des familles précaires, mais aussi pour le fichier « ELOI » (dont héritera son poisson pilote Hortefeux une fois ministre de l’Immigration). Mais le jury a, une fois de plus, décidé de l’exclure, pour « racolage actif et passif, exhibitionnisme et outrage à magistrat », pour avoir revendiqué de multiples atteintes à la vie privée, et pour avoir activement promu la surveillance en général, et le fichage en particulier.

Le jury notait alors que si Nicolas Sarkozy était poursuivi, il serait passible de plusieurs années de prison. En vertu de la loi sur la récidive, adoptée sous l’impulsion de son ami Pascal Clément, le multirécidiviste Sarkozy pourrait de plus se voir proposer le port d’un bracelet électronique. La CNIL étant passée par là, ce bracelet ne serait, fort heureusement, nullement obligatoire…

En 2007, Nicolas Sarkozy a de nouveau été exclu de la compétition, en raison, cette année, de sa « prédisposition génétique » aux atteintes à la vie privée et aux libertés. Le nouveau président de la République avait en effet soutenu le principe de la « prédisposition génétique » lors de son entretien avec le philosophe Michel Onfray paru dans Philosophie Magazine en avril 2007. En suivant son raisonnement, nous devrions donc également le présumer « irresponsable », au sens juridique, de ses actes répétés contre la vie privée et les libertés fondamentales, ce qui ne lui permettrait certes pas d’échapper à quelque condamnation que ce soit, mais, au contraire, de se voir doté, à vie, d’un bracelet de surveillance électronique. Ah, si seulement la loi punissait la promotion de la surveillance et des atteintes à la vie privée…