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J’ai reçu trois cartes électorales (« à gratter »), pour aller voter…

Ce 19 novembre, j’étais invité à voter, par internet [1], aux élections prudhommales. C’est la première fois que les prudhommes testent le vote électronique, à Paris, pour « renforcer la participation [2] tombée en 2002 à 33% de votants parmi les salariés et 27 % chez les employeurs, en chute libre depuis 1979 où ils avaient été respectivement 63 % et 48 % à voter« .

Problème : j’ai reçu trois cartes électorales « à gratter [3]« , avec trois identifiants et codes d’accès différents, correspondant à deux bureaux de vote différents…:

[4] [5] [6]

J’ai d’abord téléphoné au n° de téléphone (surtaxé) des Prudhommes. Qui m’a renvoyé vers le n° spécial dédié aux problèmes techniques liés au vote électronique (le 08 25 00 80 75, pour info : il n’est pas mentionné sur leur site [7]). Qui m’a renvoyé vers les responsables des deux mairies où je me retrouve donc inscrit.

Le premier me dit que mon inscription a été radiée dans sa circonscription, mais n’est pas en mesure de me dire pourquoi. Il me renvoie au responsable de la seconde mairie qui, renseignement pris, tente de m’expliquer que le problème viendrait du fait :
1. que j’ai deux employeurs -dont un qui m’a déclaré deux fois-,
2. qu’il n’y a pas, contrairement au vote « classique« , de base de données centralisée des électeurs prudhommaux,
3. que le ministère du travail n’a pas (suffisamment bien) recoupé les doublons (comment dit-on quand on en arrive à trois ?).

J’ai donc trois cartes électorales « à gratter« , mais je n’apparais qu’une seule fois sur la liste d’émargement. Le responsable de la seconde mairie contactée me conseille d’utiliser la dernière carte (et ses codes) reçue par la Poste.

Quand faut y aller, faut y aller… et je suis motivé, désireux de voir jusqu’où cette farce peut durer.

Ca commence plutôt mal : quand je clique sur le lien Voter [8], le site m’indique que la version de mon navigateur, Firefox 3.0 (utilisée [9] par un internaute sur quatre, soit dit en passant), ne me permet pas de voter (encore qu’une petite manip’ [10] permet quand même de voter sous Firefox, mais bon, passons).

Vote électronique aux prudhommes  : firefox marche pas [11]

Bon gars, je passe donc à un autre navigateur. Là, le site me rappelle que « Le vote est un acte personnel – Isolez-vous pour allez voter« , ce qui fait doucement rigoler François Nonnenmacher (padawan), opposant de longue date au vote électronique [12] :

En d’autres termes, démerdez-vous seul(e) pour assurer que vous pourrez voter librement. Pour les plus entreprenants, vous avez une voie royale pour monnayer votre vote. Ou forcer celui de vos collègues. Il est en effet bien connu que le monde du travail, et celui des syndicats en particulier, est le terreau idéal de l’expression démocratique.

Ce que la CNIL, interrogée en 2002 au sujet de la première expérimentation de vote par internet menée par la société même qui organise ces élections prudhommales, expliquait [13] elle aussi, mais dans un langage moins fleuri :

La Commission relève que le protocole projeté par la société election.com ne remplit pas les conditions minimales qui rendrait une telle expérimentation utile :
. le votant ne serait identifié que par un code d’accès et un mot de passe adressé par courrier à son domicile alors que plusieurs électeurs peuvent y résider ;
. la possibilité de voter depuis son domicile ne garantit pas que le vote soit dégagé de toute influence ou de toute pression…

Vote électronique aux prudhomes : faites attention ! [14]

Le site précise également qu' »en application des articles L. 92 et L. 93 du code électoral, sera puni d’une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 15 000 euros, quiconque aura (…) profité d’une inscription multiple pour voter plus d’une fois« . Ce qui, si je ne m’abuse, revient donc à reconnaître les cas d’inscription multiple…

N’écoutant que mon courage, je tente néanmoins de voter au moyen des codes donnés dans les deux premières cartes reçues par la Poste.

Raté :

Vote électronique au prudhommes : code erroné [15]

Las : en entrant les codes de la dernière carte, j’ai finalement pu voter.

J’ai hésité, mais il me fallait poursuivre cette mémorable expérience jusqu’au bout, ne serait-ce que pour savoir s’il existait d’autres bugs. De fait, je n’en sais rien, le site se contentant de m’indiquer que mon vote a bien été enregistré. Mais je n’ai aucun moyen de le vérifier.

[16]

Reprenons donc les arguments de Padawan, qui explique que pour la première fois [17], il ne votera pas aux élections prud’hommales :

Le vote électronique reste un pur scandale, de par sa fiabilité plus que douteuse et son manque total de sécurité et de transparence. Et je ne parle pas seulement de l’opacité de la technologie, elle n’a rien à envier à celle du ministère de l’intérieur. Le vote par internet est, en comparaison, une vaste bouffonnerie. Or, par des expérimentations à grande échelle, comme les élections Prud’hommales 2008, c’est bien ce que le gouvernement tente de légitimer. (…) Avec un ordinateur de vote, rien en vous permet de vous assurer par vous-même que le scrutin se déroule de manière sincère. Avec ce vote par internet, totalement ouvert à la fraude et aux pressions, tout vous permet de penser qu’il sera détourné, c’est la nature humaine !

Pour avoir longuement enquêté, pour internetactu.net et lemonde.fr, sur l’élection par internet [18] des représentants de l’Assemblée des Français de l’Etranger, puis sur l’utilisation [19] des machines à voter [20] lors des dernières présidentielles, je ne peux décemment affirmer le contraire. Je vous invite (vraiment) à lire mes enquêtes

Je n’ai en effet d’autre choix, en l’état, que de « faire une confiance aveugle » dans un système qui m’a fait parvenir trois cartes électorales (« à gratter« ), et trois identifiants et mots de passe différents, sans que les quatre interlocuteurs différents que j’ai eu ne puisse m’expliquer clairement ce pour quoi un tel bug a eu lieu, ni qui en était responsable.

D’autre part, le vote électronique en tant que tel est quant à lui organisé par deux sociétés privées, Thalès [21] et election-europe.com [22], qui avait jusque là fait élire [23] Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP, et qui continue à faire voter [24] les (jeunes [25]) militants de l’UMP, ce qui a d’ores et déjà soulevé quelqu’inquiétudes [26], y compris dans les rangs de l’UMP…

D’un côté -et au-delà de mes trois cartes électorales (« à gratter« )-, nous avons donc une boîte noire informatique mise en place par des sociétés privées liées commercialement au parti politique du président de la république, et dont le fonctionnement interdit à quiconque de vérifier l’intégrité du vote. De l’autre, nous avons des buletins secrets, une urne tranparente, et des assesseurs pour débusquer toute vélléité de fraude. Vous êtes donc cordialement invités à vous déplacer pour aller voter (ou, au pire, à voter par correspondance).