TF1 vs Villepin : pile, je gagne, face, tu perds
14/06/2005, par jmm[ Impression | No comment ]
Le Canard Enchaîné a généralement le nez creux, et puis de bons tuyaux. Dans l’édition de ce 8 juin 2005, on apprend que « Villepin, qui, déjà au Quai d’Orsay, faisait une fixette sur la CII (la chaîne d’info internationale, serpent de mer cher à Chirac), veut maintenant remettre le dossier complètement à plat. Et surtout, comme il le souhaitait aussi depuis un moment, sortir TF1 du jeu pour confier le tout à la télé publique« .
Info confirmée depuis par le Figaro, qui rappelle que « durant toute la phase d’étude du projet, Dominique de Villepin, à l’époque ministre des Affaires étrangères, avait clairement fait connaître ses réticences vis-à-vis d’une chaîne qui ne serait pas entièrement publique« . Aujourd’hui aux « affaires étrangères », Douste-Blazy, quant à lui, « lorsqu’il était ministre de la Culture, il y a dix ans, avait été le premier à soutenir l’idée d’une «CNN à la française» portée par les structures de l’audiovisuel extérieur français« .
Sous la pression de TF1, et au mépris des parlementaires -y compris UMP- qui s’étaient penchés sur la question, Raffarin avait pour sa part décidé, en mars 2003, de faire entrer TF1 dans la CII, et d’en proscrire la diffusion sur le territoire français -ce qui est pour le moins étonnant, pour une chaîne d’informations de service public… La manoeuvre, grossière, est illustrée par l’historique d’un document Word que j’avais précédemment reproduit et commenté ici. On y apprend que Matignon avait initialement prévu une CII de service public, rediffusée en France, avant de faire, en quelques jours, machine arrière, au plus grand profit de LCI, et donc de TF1.
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Parlons-en, du profit. La Commission européenne vient d’approuver le financement de cette future Chaîne française d’information internationale (CFII) : « la Commission a considéré que le projet implique des aides d’Etat, mais qu’elle peut cependant l’autoriser en tant que financement d’un service d’intérêt économique général« . Il s’agirait donc d’un quasi-service public, financé par les Français, mais dont les Français ne pourront profiter… Sans chercher à relancer le débat sur le projet de Constitution européenne, cette conception du « service d’intérêt économique général » ne laisse pas d’étonner.
« La Commission a également conclu que le projet présente des garanties suffisantes contre les risques de distorsions de concurrence, par exemple en empêchant des transferts injustifiés de fonds publics aux actionnaires de la future chaîne que sont France Télévision et TF1« . Voire : le Figaro rapporte que Patrick Le Lay, le PDG de TF1 que tous les interlocuteurs que j’ai pu interroger* soupçonne d’être directement à l’origine du brusque revirement de Raffarin, « a aussi négocié des clauses de sortie lui permettant de se retirer de la CFII dans un certain nombre de cas et de vendre ses parts à Francetélévisions, à moins qu’elles ne soient directement rachetées par l’Etat« .
La CFII de Villepin vs la CII de TF1, & Raffarin
Dès lors, et alors qu’elle devait être lancée courant avril, la CFII pourrait être, une fois de plus, reportée sine die : de Villepin, à l’affut d’économies budgétaires, pourrait en effet, toujours selon le Figaro, décider de faire traîner le dossier, afin d’économiser les 30 millions d’euros initialement prévus pour le projet. A ceci prêt qu’il s’agit de l’un des grands projets de Jacques Chirac, et depuis des années. Et que son nouveau conseiller pour la culture et les médias est bien placé pour savoir que TF1 est, sinon un état dans l’état, en tout cas très influent. Alain Seban est en effet l’ancien directeur du développement des médias (DDM) dépendant de Matignon, auteur du fichier Word précité.
Aujourd’hui, et grâce au « courage » de Raffarin, Dominique de Villepin se retrouve face à un choix cornélien : face, il perd, pile, TF1 gagne… Après avoir forcé la main à Matignon, TF1 pourrait ainsi palper du blé afin de se retirer d’un projet qui, initialement, ne la concernait en aucun cas et dans laquelle elle est entrée de force pour protéger LCI. Dans les deux cas, les Français devront contribuer au financement de TF1, au nom de la grandeur et du rayonnement de la France, tels que voulus par (dans l’ordre) Chirac, Le Lay, Raffarin et la Commission Européenne. En tout état de cause, et comme le document Word en témoignait, TF1 dicte effectivement ses conditions à Matignon.
* journaliste, j’ai longtemps enquêté sur le sujet; les rédactions que j’ai contacté à ce propos se sont dites intéressées par mon enquête, sans pour autant la publier; l’objet de ce blog/notes est précisément de pouvoir rendre publiques certaines infos non retenues par les rédactions avec lesquelles j’ai l’heur de travailler (ou non, donc ;~).
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Réf. [ Canard (Enchaîné), InfoGuerre ]
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