« Safari ou la chasse aux Français »

11/02/2008, par jmm
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Ce 30 janvier, la France n’a pas célébré la « journée européenne de la protection des données« , à l’exception d’un sondage (opaque) publié sur le site de la CNIL.

Le 6 janvier, la France n’a pas non plus célébré les 30 ans de la CNIL et de la loi informatique et libertés, à l’exception d’une (pauvre petite) vidéo publiée sur le site de la CNIL.

Permettez donc que je contribue au silence ambiant avec cette retranscription de l’article qui a changé la face de la vie privée.

Publié le 21 mars 1974 dans les pages « Justice » du Monde, il allait éveiller l’opinion publique sur le problème du fichage informatique, et déboucher sur l’adoption de la loi informatique et libertés, l’une des toutes premières dans le monde (si quelqu’un a un historique de ce type de lois-là, je suis preneur).

Safari (sic, pour « Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire des Individus« , cf le reportage de l’INA) prévoyait d’instituer un identifiant unique pour interconnecter les fichiers administratifs.

34 ans plus tard, la question est toujours d’actualité.

Safari ou la chasse aux Français

Safari ou la chasse aux Français

Rue Jules Breton, à Paris-13e, dans les locaux du ministre de l’intérieur, un ordinateur Iris-80 avec bi-processeur est en cours de mise en marche. A travers la France, les différents services de police détiennent, selon la confidence faite par un très haut magistrat, 100 millions de fiches, réparties dans 400 fichiers. Ainsi se trouvent posées – et, à terme, théoriquement résolues – les données d’un problème comprenant, d’une part, l’énormité des renseignements collectés; de l’autre, la méthode à définir pour faire de cet ensemble une source unique, à tous égards, de renseignements.

L’histoire du très puissant appareil qu’est l’Iris-80 est exemplaire du secret qui entoure l’épanouissement de l’informatique dans les administrations, quelles que puissent être les informations qui filtrent ici et là.

Puissant, cet Iris-80, une comparaison le démontre sans contestation. L’appareil employé pour engranger les données de l’opération Safari, qui concerne l’identification individuelle de l’ensemble des 52 millions de Français, a une contenance de 2 milliards d’octets. Celle de l’ordinateur du ministère de l’intérieur est de 3,2 milliards d’octets.

C’est dire que la mise en route d’Iris-80 – dont la location coûte 1 million de francs chaque mois – a été précédée d’études, de tests, pour en éprouver les possibilités. D’autant qu’à lui seul il doit remplacer les trois GE 400 et le 10070 de la C.I.I. qu’employait jusqu’alors la place Bauveau.

De vastes ambitions

C’est sur ce dernier ordinateur qu’ont eu lieu les essais. Pour 20% de sa capacité, il a été consacré à la gestion du personnel communal de la Ville de Paris. Mais, pour le reste (80%), il a servi à tester les programmes devant être fournis à l’Iris-80, afin de rendre cohérentes entre elles les données contenues dans les 400 fichiers que possèdent les services de police : renseignements généraux, direction de la surveillance du territoire, police judiciaire, etc.

A titre d’anecdote, on peut rappeler que ce 10070 de la C.I.I., à l’origine, budgétairement, n’était pas du tout prévu pour la tâche qu’il a finalement assurée, mais pour « traiter » les données administratives du Fichier national des constructeurs (F.N.C.). Il s’agit donc apparemment d’un détournement manifeste de crédits d’études, ce qui n’était sans doute pas le voeu du Parlement qui les vota.

Il n’y a pas que cela. Le ministère de l’intérieur a d’encore plus vastes ambitions. Détenteurs, déjà, du fichier national du remembrement, les services de M. Jacques Chirac font de grands efforts pour, affirme-t-on, s’en adjoindre d’autres : le cadastre, le fichier de la direction nationale des impôts et, plus grave peut-être, celui du ministère du travail.

De telles visées comportent un danger qui saute aux yeux, et que M. Adophe Touffait, procureur général de la Cour de cassation, avait parfaitement défini le 9 avril 1973 devant l’Académie des Sciences morales et politiques, en disant : « La dynamique du système qui tend à la centralisation des fichiers risque de porter gravement atteinte aux libertés, et même à l’équilibre des pouvoirs politiques. »

Philippe Boucher (21 mars 1974)

Source : Droits Et Libertés face à l’Informatisation de la Société.

MaJ 08/2009 : la version intégrale de l’article a depuis été publié dans Mag-Securs, consultable là : De Safari à Edvige : 35 années d’une Histoire oubliée malgré la création de la CNIL :

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Réf. [ (Cyber)surveillance, Vie privée ]
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14 Réponses a “« Safari ou la chasse aux Français »”

  1. narvic :

    Les liens « contact » ici, et « email » depuis le cv, ne fonctionnant pas depuis chez moi (safari sous léopard), je tente les commentaires ;-)
    Donc: merci pour le lien. A un de ces jours peut-être ;-)

  2. jmm :

    il s’agit en fait d’un « truc » anti-spam, qui ouvre automatiquement une fenêtre de composition de mail pour ceux qui utilisent un logiciel de courrier électronique… mais je reconnais que c’est un peu bogué, notamment pour ceux qui ne conversent qu’en webmail.

    Bref, pour me contacter : jmm (@robase) rewriting (point) net, tout simplement ;-)

  3. Marie :

    Bonjour !

    Je trouve votre blog très intéressant !

    J’aurais voulu lancer sur votre blog un appel à la mobilisation pour des associations humanitaires.

    Comme c’est une démarche utile, originale et gratuite, m’autoriseriez-vous à poster plus d’infos sur votre blog ?

    Juste pour info, le principe est simple :

    Une fois le logiciel Soliland installé, à chaque fois que l’internaute fait des achats sur internet, un pourcentage de sa commande est automatiquement reversé à l’association de son choix, et ce sans payer 1 centime de plus ce qu’il a commandé !

    En résumé, c’est un geste simple et solidaire !

    Merci d’avance pour votre soutien, je compte sur vous !

    Marie

  4. Jack Fischlum :

    Le NIR (identifiant unique de l’Insee et du projet Safari) est finalement passé en 1999, d’abord pour les adminsitrations financières( DGI, comptabilité publique, douane et droits indirects) et ce par la loi de finance (article 107), puis pour d’autres administrations, organismes sociaux, santé etc… Il y a longtemps que nous sommes tous fichés par l’Etat et depuis la dernière élection, encore plus.
    Aujourd’hui, il s’agit de savoir si nous laissons des opérateurs privés faire la même chose. En tout cas, cela intéresse beaucoup l’Etat qui imposera même aux fournisseurs d’accès de conserver les données personnelles de leurs clients pendant 12 mois, au cas où… ! La chasse s’est mondialisée, Safari n’est plus un seul serveur mais tous les serveurs constituant le réseau Internet. En tout cas, la chasse n’a jamais été aussi ouverte. ;(

  5. rewriting.net » A qui profite la CNIL ? (à la DST, aux RG, et caetera) :

    […] le projet de méga-base de données du ministère de l’Intérieur pudiquement intitulé Safari (sic, pour “Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire des […]

  6. Quand Sarkozy découvre les vertus des libertés publiques « # numéro lambda # :

    […] du data-mining gouvernemental (1), dernier avatar du fichage républicain qui a débuté avec le projet «Safari» dans les années 70, sont en effet les fichiers flambants neufs de la nouvelle direction du […]

  7. Sarkost’zine » Blog Archive » Fichage: le ministère réagit…en commentaire :

    […] fichiers administratifs français, fut accusé, en 1974 et dans Le Monde, de vouloir faire “la chasse aux Français“, et dont la révélation, et le scandale, entraîna, en 1978, l’adoption de la loi […]

  8. Comment légaliser les fichiers policiers ? « Futur Rouge :

    […] à tenir compte de son avis, déniant ce pour quoi la CNIL avait pourtant été créée, à savoir protéger les citoyens du fichage policier . Cerise sur le gâteau : cette même loi autorise également les fichiers policiers à être… […]

  9. La CNIL : Son origine, ses fonctions & ses impacts sur l’Entreprise | Le Blog Stéphane Seban :

    […] 21 Mars 1974, le journal Le Monde sorti une tribune « SAFARI ou la chasse aux Français » qui provoqua un tollé politique, auquel du faire face le ministre de l’Intérieur de […]

  10. L’affaire SAFARI | informatiquelegislation :

    […] Source:  http://rewriting.net/2008/02/11/safari-ou-la-chasse-aux-francais/ […]

  11. La CNIL futur juge d’Internet | My digital review :

    […] Cnil, réponse apportée à l’un des premiers scandales de fichage informatique à une époque où octets et francs servaient encore d’étalon, prendrait ainsi du galon aux […]

  12. Adieu Edvige, bonjour Edwige² | Les Contrôleurs :

    […] Le ministère récuse en effet le terme même de "fichier", selon lui "inexistant juridiquement"… c’est dire la connaissance qu’il a de la "loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés", adoptée en 1978 après que le ministère de l’Intérieur d’alors ait voulu interconnecter toutes les bases de données administratives dans un seul et même fichier sobrement intitulé… SAFARI (voir Safari ou la chasse aux Français). […]

  13. Cnil et Cada : une fusion-absorption sous condition :

    […] certes nées la même année, en 1978, mais de deux lois distinctes. Créée suite au scandale du projet de “méga” fichier Safari, la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 protège la vie privée des individus et leurs […]

  14. Katia :

    Bonjour,
    Merci pour cet article intégral.
    Cordialement
    Katia

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