La France, championne du monde de DoubleClick
10/04/2005, par jmm[ Impression | No comment ]
Il y a quelques années, DoubleClick, leader de la publicité sur l’internet, était accusée de violer l’anonymat des internautes. Ses fameux cookies, et sa technologie de tracking, étaient perçus comme l’antichambre de Big Brother. Ce qui n’empêchait pas son cours boursier d’atteindre des sommets.
Et puis cela s’est tassé (son cours, mais sa mauvaise image aussi). Ses serveurs ont été piratés et sous contrôle (de qui ? on ne le sait) pendant deux ans, personne n’a réagi. DoubleClick a négocié avec les autorités son droit au « profilage » des internautes, personne n’a moufté.
Depuis, le 11 septembre 2001 est passé par là, et plus personne n’oserait qualifier DoubleClick de pratiques liberticides. D’autant que, pour beaucoup, le problème est moins, aujourd’hui, celui des atteintes à la vie privée que celui du spam, devenue grande cause internationale à même de mobiliser autant (si ce n’est plus) de pays que la lutte antiterroriste.
Alors que l’un des principaux spammeurs de la planète, Jeremy Jaynes, vient, pour la seconde fois en 6 mois, d’être condamné à 9 ans de prison ferme, gageons que peu de personnes s’intéresseront au premier Rapport annuel de Référence que DoubleClick EMEA (Europe, Middle East and Africa, NDLR) vient de publier. Et pourtant.
La France, championne d’Europe (et du monde) de publiphilie électronique
On y lit que « le nombre d’e-mails effectivement distribués (enregistre) une hausse de +3,1% par rapport à la même période en 2003 (86,9%) » et que « la France affiche la plus forte hausse annuelle avec une augmentation de 6,0% pour la distribution (91,3% contre 86,1%)« , ceci s’expliquant « par de plus grandes capacités de réception des messages, par des processus de collecte des adresses plus efficaces, par l’utilisation accrue des préférences des clients et par une plus grande fréquence d’envoi d’e-mails« .
Plus intéressant : « En 2004, le taux d’ouverture a chuté de 11,4%, passant de 42,9% au 4ème trimestre 2003 à 38,0% au 4ème trimestre 2004. Les marketers de la région EMEA obtiennent néanmoins des taux d’ouverture supérieurs à ceux de leurs collègues américains (38,0% contre 32,6%)« . L’e-pub serait-elle en déclin ? Non : « la chute généralisée des taux d’ouverture peut s’expliquer par l’utilisation accrue du blocage par défaut des images dans les clients e-mails comme AOL, Gmail, Outlook 2003 et Outlook Express SP2« , les taux d’ouverture étant calculés à l’aide d’un pisteur d’image dans les e-mails HTML…
Pis : « Malgré une chute de 2,5% du 3ème au 4ème trimestre 2004, le taux d’ouverture français de 42,8% reste supérieur à la moyenne de la région (38%)« . Sans compter que si « les taux de clic sont variables d’un pays à l’autre, la France affiche une hausse étonnante de +51,7%, avec un taux de 8,7% au 4ème trimestre 2003 contre un taux de 13,2% au 4ème trimestre 2004« .
Les Français seraient donc moins publiphobes que les autres Européens, eux-mêmes plus publivores que les Américains… Ainsi, « l’année 2004 fut une bonne année pour l’activité des taux click dans la région EMEA, avec des chiffres grimpant jusqu’à 11,3%, soit une hausse de 15,3 % par rapport à la même période en 2003 (9,8%). Inversement, en Amérique du Nord, les taux ont chuté de 4,8% d’une année à l’autre (8% au 4ème trimestre 2004 contre 8,4% au 4ème trimestre 2003)« .
Bienvenue dans la France de la publicité électronique non sollicitée (mais légalisée)
A noter que cette étude se base sur des « données compilées à partir de plus d’un milliard d’e-mails distribués du 4ème trimestre 2003 au 4ème trimestre 2004« . Pour la petite histoire, Jeremy Jaynes, considéré comme le 8ème spammeur le plus nocif au monde, était capable, lui, d’envoyer jusqu’à 10 millions de spams par jour, soit 3,6 milliards par an (en toute illégalité, contrairement à DoubleClick, faut-il le préciser). Jaynes a été libéré contre 1 million $ de caution, et l’obligation de porter un bracelet électronique.
Pour en revenir à DoubleClick, gageons qu’avec de tels chiffres, le nombre d’e-mails publicitaires ne peut qu’augmenter. D’autant que la Cnil a récemment assoupli les règles de la prospection entre professionnels de sorte que « toute société de marketing direct peut désormais envoyer un message commercial sur l’adresse professionnelle d’une personne physique, sans son consentement préalable« .
La Loi pour la Confiance dans l’Economique Numérique, adoptée l’été dernier, visait pourtant à sévèrement encadrer la publicité par e-mail, et interdire le spam. Mais la Cnil estime que « l’esprit de la loi est de protéger la vie privée des consommateurs personnes physiques et non de freiner les échanges électroniques entre professionnels, la prospection d’entreprise à entreprise communément appelée B to B« .
De plus, et du fait du lobbying de l’industrie du marketing direct, et comme le rappelait Patrick Devedjian, « la loi prévoit une exception à la règle du consentement préalable lorsqu’une entreprise souhaite prospecter des clients à qui des produits ou services analogues ont été fournis« , quand bien même ces clients aient pu être fichés illégalement.
La France, championne du monde (x2) de DoubleClick.
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