La surveillance est(-elle) un business « comme un autre » (?)

27/04/2006, par jmm
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http://news.bbc.co.uk/cbbcnews/hi/pictures/galleries/newsid_3743000/3743697.stm« Les gens ne se rendent pas compte de ce qui peut être fait de ces outils : en Allemagne, la société qui commercialisait avant-guerre les fils de fers barbelés fut aussi celle qui bâtit ensuite les clôtures des camps nazis… »

Ce genre de considérations émane généralement de défenseurs des droits de l’homme et/ou de la vie privée. En l’occurence, c’est un employé de l’un des leaders mondiaux de l' »intégration » des outils de (cyber)surveillance qui me l’a récemment confié, en apparté.

La (cyber)surveillance est un business « comme un autre », ou presque, en tout cas pour ceux qui en vivent, ce que je me suis retrouvé à devoir rappeler -de façon certes moins alarmiste- dans l’Atelier numérique, sur BFM, qui m’avait interviewé en février dernier suite à mon épais dossier consacré à la guerre de l’information.

Je n’avais point pris le temps de l’évoquer, mais ladite interview vient de repasser, ce week-end, qui plus est en « best of » (mais amputée de 11 secondes, que je n’ai pu identifier, si quelqu’un a une idée… contactez-moi ). Extraits :

Les services de renseignement français espionnent les Français, mais pour les protéger

Il y a une accélération, aux niveaux technologique et industriel -parce que les deux vont de pair- de la surveillance, c’est un marché en pleine expansion; mais il y a surtout une banalisation au niveau social : de plus en plus de gens acceptent d’être surveillés, au nom de la lutte contre l’insécurité ou le terrorisme, et il y a beaucoup moins de freins politiques et civiques qu’il pouvait y en avoir avant les attentats de 2001.

Mais jusqu’où va la surveillance (e-mail, chats, etc.) ?

Il n’y a pas de limite, puisque toute action informatique laisse des traces : en matière de télécommunications, tout est, sinon intercepté, du moins interceptable (…) aujourd’hui, la surveillance électronique ne concerne pas que le terrorisme, mais aussi les secteurs économiques et technologiques, notamment de pointe : l’intelligence économique est en pleine expansion, et les services de contre-espionnage français, par exemple, espionnent de plus en plus de citoyens ou résidents français… afin de les protéger, et tout le monde s’y met.

La question n’est pas de savoir si la surveillance des télécommunications est efficace ou pas : il faut qu’elle existe

Parlez-nous d’Echelon…

C’est un programme mis en place par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne en 1947 afin de mutualiser leurs capacités d’écoute du bloc de l’Est. Depuis, l’Australie, le Canada et la Nouvelle Zélande sont venus se greffer à ce pacte-là afin de mettre en place un système de surveillance généralisé de toutes les télécommunications au niveau mondial avec comme particularité d’être essentiellement focalisé, jusqu’à la chute du mur de Berlin, contre le péril rouge. Après la chute du bloc soviétique, cet arsenal a été réorienté en partie contre le terrorisme et la menace de ces états dits « voyous », et en partie dans l’espionnage industriel : à la guerre froide, et idéologique, entre capitalistes et communistes, s’est substituée une guerre économique où les pays se retrouvent tous à devoir se battre les uns contre tous les autres.

Est-ce que c’est efficace ? Parce que le 11 septembre est arrivé et qu’on a beaucoup dit que ces systèmes qui coûtent des fortunes sont assez inefficaces…

La question n’est pas de savoir si ça marche ou pas : il faut que cela existe. Il faut se mettre dans la tête des gens qui mettent ça en place, avant ou après la chute du mur : ils y ont consacré leur vie, leur oeuvre, en tant que militaires, et ils sont main dans la main avec des industriels qui ont développé ces systèmes de télécommunication, ils fonctionnent en vase clos. Donc de temps en temps ça va marcher, au sens où ils vont tomber sur des informations intéressantes, mais si l’on regarde l’investissement en termes financiers, et politiques (et les risques qu’ils prennent puisqu’ils font souvent des choses illégales), pour les bénéfices qu’ils vont pouvoir en escompter, c’est ridicule, une société de marché de le ferait pas, mais ils sont dans un régime politique, ou idéologique, où ils ne peuvent pas faire autrement.

C’est aussi pour cela que la France a développé son propre réseau d’interception des télécommunications : j’en discutais récemment avec Alain Juillet, l’ancien n°2 de la DGSE, qui reconnaissait que le système français était bien évidemment sans commune mesure avec son équivalent anglo-saxon, parce qu’ils ont beaucoup moins d’argent et de moyens financiers et humains (la NSA est le premier employeur de mathématiciens au monde), mais même si c’est bien moins efficace, d’une part on verra très peu de résultats concrets, parce que les services de renseignements ne se vantent pas de leurs succès, d’autre part tout le monde le fait, et donc il faut aussi le faire, c’est une course sans fin.

Le développement des télécommunications n’aurait pas pu se faire sans le développement de l’industrie de la surveillance des télécommunications

Vous parlez de 25 milliards de dollars de contrats pour les firmes américaines impliquées dans la surveillance des télécommunication…

Les chiffres, c’est très compliqué, parce qu’ils sont classifiés, donc je ne pourrais pas me prononcer de façon définitive, mais ça se chiffre bien évidemment en dizaines de milliards de dollars. A ce titre, le développement des télécommunications n’aurait pas pu se faire sans le développement de l’industrie de surveillance des télécommunications.

Duncan Campbell, qui a contribué à révéler l’existence du programme Echelon, expliquait ainsi que l’un des moyens de développement de cette industrie de la surveillance était que lorsqu’un satellite civil de télécommunications était lancé, et qu’une antenne était donc déployée à terre, l’armée se dotait d’une antenne similaire pour espionner ce que recevait la première, ce qui contribuait également à financer le tout.

Pour rattacher ça avec l’actualité, et la vidéosurveillance par exemple, en regardant les attentats de Londres, on s’aperçoit que cela ne sert pas à grand chose avant, mais que cela peut permettre de retrouver les coupables…

On a réussi à les identifier de manière peut-être plus rapide que s’il n’y avait pas eu tous ces systèmes de vidéosurveillance, mais si l’on ramène ça à un ratio coûts/bénéfices, quand on voit l’argent qui est dépensé dans ces technologies de surveillance (vidéosurveillance, biométrie, surveillances des télécommunications, etc.), c’est phénoménal, mais c’est aussi comme cela que l’industrie se développe, c’est à double tranchant.

Comme la majeure partie des gens n’ont aucune espèce de connaissances en matière de sécurité informatique, si un « service » veut se donner les moyens d’entrer dans un ordinateur, il y arrivera. En matière de sécurité informatique, il est un adage bien connu qui veut que si l’on veut avoir une communication sécurisée avec quelqu’un il faut se voir dans un café ou dans un parc…

…et encore, il faut faire attention aux micros, ou au serveur, ou à la serveuse…

NDLR : les questions sont de l’Atelier Numérique, les intertitres « de la rédaction« .

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Réf. [ (Cyber)surveillance, (In)sécurité, 1/4 d'h de célébrité, Guerrelec, InfoGuerre ]
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Une Réponse a “La surveillance est(-elle) un business « comme un autre » (?)”

  1. Le Phare du bout du monde» Blog Archive » 21 août 2009 La surveillance, ça sert à acheter des voix : Bug Brother :

    […] Ce qui dénote, non seulement une perversion démagogique de la démocratie (ce qui n’est pas nouveau), mais aussi une victoire des industriels…: car ce que je retiens de près de 10 ans d’enquêtes et de veille sur le sujet, ainsi que de ma participation aux Big Brother Awards, c’est que la surveillance est d’abord et avant tout un “business“… “comme un autre. […]

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